Survivre

Chers collègues,

Tiers-payant : au secours, les assurances et mutuelles arrivent en proposant une solution. C’est évidemment dans le but de s’emparer du dispositif, qu’il est stratégique de contrôler. Il est donc dangereux de le confier à de tels organismes plutôt qu’à la sécurité sociale. Une généraliste pratiquant le tiers-payant décrit ses déboires sur Rue89.

La mutuelle des étudiants (LMDE), héritière de la Mnef, une des pépinières du parti au pouvoir, a été placée sous sauvegarde de justice le 9 février dernier en raison d’une mauvaise gestion. Challenges nous dit que “la dette s’élève à 35 millions d’euros (dont 5 millions d’euros uniquement pour les remboursement de frais de santé des étudiants)”. Les étudiants sont évidemment les premières victimes de cette impéritie, comme le montrent les témoignages rapportés par Le Monde. Il serait évidemment trop simple que les étudiants relèvent du régime général, dussent en pâtir quelques apparatchiks en herbe.

Le choix des internes a donné lieu à un classement des différents CHU reflétant leurs préférences géographiques. Si, globalement, Lyon remporte la palme, la situation est beaucoup plus contrastée si l’on regarde les choix spécialité par spécialité.

Certains hôpitaux du département de la Loire ont fait l’objet d’un reportage saisissant diffusé par France 3, encore visible pendant quelques jours ici. Les articles consacrés à cette émission relèvent les conséquences dangereuses pour les patients et les équipes soignantes des errements et de l’irresponsabilité de la politique hospitalière menée depuis plus de dix ans (voir ici, ici ou ). Pour des raisons purement budgétaires (plans de retour à l’équilibre, plus ou moins suivis d’effet), l’administration ferme des lits, supprime des postes soignants ou des lignes de garde, crée des déserts hospitaliers, les patients sont déprogrammés ou transférés, les médecins qui le peuvent quittent ces navires mal gouvernés et devenus sans attrait, séduits par les sirènes du privé. Les hôpitaux publics sont alors placés dans la nécessité de recourir à un intérim coûteux et parfois peu sûr, ce cercle vicieux étant largement favorisé par la crise de la démographie médicale. Un document édifiant, loin des discours officiels lénifiants tenus habituellement sur ces sujets.

La tarification à l’activité (T2A) porte aussi une part de responsabilité dans la crise hospitalière. Elle fête ses dix ans. Finances hospitalières en dresse un court bilan. L’article se termine ainsi : “Enfin, force est de conclure que les principaux défauts de la T2A, sa complexité, l’instabilité des règles et le manque de visibilité, restent pour le moment sans remède, pour ne pas dire qu’ils se sont récemment aggravés.”

A l’heure où les notions de “parcours de soins” et de “territoires de santé” connaissent une grande vogue, les décodeurs du Monde montrent que pour deux personnes habitant à la même adresse, le bassin de vie et, par conséquent, l’utilisation des structures de soins peuvent être très différents.

Selon Le Figaro, les données de santé, que certains aimeraient ouvrir aux quatre vents, attirent les hackers. Il faut en conclure qu’elles sont stratégiques et doivent être très protégées.

Dans le JAMA et sur Slate.com, le journaliste Charles Seife, professeur à la New York University, révèle que les fraudes découvertes par la FDA lorsqu’elle inspecte le déroulement des essais cliniques sont tenues secrètes (600 fraudes découvertes en quinze ans). Ces fraudes invalident un certain nombre de conclusions scientifiques et remettent en cause plusieurs autorisations de mise sur le marché. Les raisons invoquées pour justifier ce silence : le secret industriel et les réactions du public, qui risquerait de perdre confiance dans les médicaments (sic). Peu d’écho chez nous, où il en va peut-être de même, de ces troublantes révélations.

La médecine dite de précision transforme tout bien portant en malade génétiquement vulnérable. Dans le New England Journal of Medicine, Eric S. Lander, un des leaders de la génétique américaine, souligne la nécessité d’une régulation pour protéger les patients contre les dérives du testing génomique et ses incertitudes, que rappelle par ailleurs le New Yorker.

Au Royaume-Uni, la situation n’est guère brillante : les urgences sont en crise, avec des délais d’attentes qui s’allongent (voir ici l’article de la BBC). Le National Health Service se sent menacé et constitue un enjeu électoral de premier plan. Mark Porter, le président de la British Medical Association, met en garde la classe politique contre toute instrumentalisation de la politique de santé. Comme le rapporte le Guardian, il a déclaré : “The NHS is one of the UK’s towering achievements, but for too long it has been used to play political games. With health the public’s number one election issue, this game playing is on the rise with all political parties laying the blame for the current NHS crisis at each other’s door rather than facing the problem head on.” L’article ajoute : “The BMA says all political parties should commit to tackling the country’s major public health issues and ensure services are – and remain – properly resourced, easy to access and free at the point of use. It also wants a commitment to long-term investment and to put the health and wellbeing of patients before profit.” Mark Porter a aussi affirmé : “The scale of the campaign just goes to demonstrate just how concerned doctors are, and we aim to ensure that every member of the public sees it and adds their voice to ours in calling for an end to the game-playing and the start of an open and honest public debate on how we create a long-term, sustainable plan for the NHS.” On pourrait espérer qu’un tel débat se tienne aussi en France.

Nous terminerons en attirant l’attention sur le texte d’Oliver Sachs, qui, “sentant sa mort prochaine”, a écrit pour le New York Times un bel hymne à la vie.

Amitiés et bon courage.

P.-S. 1: voici la réaction de notre collègue Yannick Aujard au rapport de J. de Kervasdoué sur l’accueil des patients étrangers en France :

« Chers collègues

Difficile de critiquer de principe les travaux d’une commission dirigée par des noms si prestigieux et dont certains de ses membres connaissent l’hôpital de l’intérieur.

Mais le problème le plus urgent de l’hôpital public est-il de créer des structures d’accueil pour des étrangers fortunés ou, au contraire, de revoir son système de financement et de mettre en place une politique de restructuration au moins régionale basée sur les besoins de la population ?

Quant à recevoir des patients étrangers, nous n’arrêtons pas mais le chiffrage des dettes induites par ces patients (dont des chefs d’état semble-t-il) est – comme vous le savez – abyssal ! La mise en place d’une structure efficiente de récupération (partielle) de cette dette est sans doute plus urgente.

Bonne journée

Pr Yannick Aujard, consultant”

P.-S. 2 : les restaurants du cœur déjà inventés sous Louis XIV par la femme du Garde des Sceaux, si l’on en croit les Mémoires de Saint-Simon ; Madame de Pontchartrain et Coluche, même combat.

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