Le visage de la France

Chers collègues,

Le 13 novembre 2015, Paris a été attaqué par trois groupes de psychopathes fanatisés se réclamant de l’état islamique. Semant la terreur, ils ont abattu avec une rage sanguinaire cent trente personnes dans différents lieux de la capitale, surtout au Bataclan, théâtre de scènes indicibles.

Les équipes soignantes se sont immédiatement mobilisées et organisées pour accueillir et traiter les centaines de personnes touchées par ces attentats. Tous les blessés ont été pris en charge avec une efficacité et un professionnalisme unanimement salués. Cela a été possible en raison de la remarquable coordination et de l’excellente préparation des services de secours et d’urgence civils et militaires, mais aussi grâce à la réaction spontanée des personnels hospitaliers venus en nombre prêter main forte à leurs collègues déjà en poste. Dans ces circonstances exceptionnelles, l’hôpital public s’est montré une fois de plus digne de la confiance que lui accordent nos concitoyens.

Le 19 décembre 1964, à l’occasion du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, André Malraux terminait son mémorable discours en faisant allusion au Chant des partisans qui allait s’élever dans un murmure envoûtant : “Ecoute aujourd’hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le chant du malheur. C’est la marche funèbre des cendres que voici. A côté de celles de Carnot avec les soldats de l’an II, de celles de Victor Hugo avec Les Misérables, de celle de Jaurès veillées par la justice, qu’elles reposent avec leur long cortège d’ombres défigurées. Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé. Ce jour-là, elle était le visage de la France.” Le 13 novembre, de nouveaux martyrs de la barbarie ont rejoint le long cortège d’ombres défigurées dont parlait André Malraux. Lors de l’hommage national qui leur a été rendu, un nouveau chant du malheur s’est élevé lorsque leur nom et leur âge ont été longuement psalmodiés. En conclusion de son discours, le président de la République a repris les mots de l’écrivain, disant que ces hommes et ces femmes tombés tragiquement étaient eux aussi “le visage de la France”.

Le reste de l’actualité de ce mois paraît bien secondaire après de tels événements.

Le rapport Le Menn sur l’attractivité de l’exercice médical à l’hôpital public a été rendu public début novembre. Il a servi de fondement au plan d’action annoncé par la ministre de la santé. Les intersyndicales de médecins hospitaliers n’ont pas réagi très favorablement. Dans un communiqué commun, elles viennent de manifester leur déception et leur impatience.

La Finlande s’engage dans une réforme de son système de protection sociale et de santé en harmonisant son organisation et en diminuant le nombre d’intervenants, notamment locaux, pour adopter une rationalisation des soins selon une organisation régionale. Sur le site du gouvernement finlandais, un diaporama parle de réduction des dépenses et d’efficience. Extrait de la présentation du ministère des affaires sociales et de la santé : “The objective of the reform of social welfare and health care services is to reduce inequalities in well-being and health, and to manage costs.  The social welfare and health care services will be combined on all levels in order to reach the objective. The aim is to create seamless service chains for the provision of key social welfare and health care services, and to improve the functioning of basic services. The organisers’ service capacity will also be improved. This will have a significant impact on the sustainability gap of public finances.” Un air déjà entendu.

Le NEJM consacre un article au système de santé japonais, plutôt performant, mais dont il faut assurer l’avenir : “Maintaining Japan’s current system by increasing premiums or taxes while cutting benefits, as was done in the past, might buy some time — but it would be very costly politically and would not resolve fundamental structural problems. Incremental changes at the margins will no longer suffice. Instead, we believe that Japan needs a new vision of health care and health systems for the future. In June 2015, an advisory panel of young experts, appointed by Health Minister Yasuhisa Shiozaki, presented its vision of health care for Japan in 2035. The panel’s report proposes a paradigm shift for Japan’s health system, to redirect its focus from inputs to outcomes, from the quantity of services provided to patients’ concerns about quality, from governmental regulation to professional self-regulation, from cure to care and well-being, and from specialization of services to integrated approaches across medical and social service sectors. The new health system would continue to emphasize fairness and solidarity, while building on individual patient values and desires and emphasizing global health perspectives. The government, recognizing that Japan needs new solutions for its profound problems, has explicitly called on the younger generation to produce innovative ideas for improving the health system.”

Alors que les députés assouplissent la loi Evin réglementant la publicité sur l’alcool, deuxième cause de mortalité évitable après le tabac, la Croix indique que cette modification législative profitera aux grands groupes et non aux petits producteurs de nos terroirs. Mais, auprès des parlementaires de tous bords, la force et les à-côtés du lobbying l’emportent sur la volonté de défendre l’intérêt général. “Nous sommes face à une bombe à retardement sanitaire. L’Inca, en tant qu’agence d’expertise, doit donner un éclairage sur ces mesures. On ne prône pas la prohibition mais on veut expliquer au public les conséquences de ces dispositions”, a déclaré notre collègue le Pr Agnès Buzyn, présidente de l’institut national du cancer, au cours d’un point presse le mardi 10 novembre. 

Pourquoi vaut-il mieux être soigné en France qu’aux Etats-Unis ? Jean-Yves Nau l’illustre en rapportant le cas d’une patiente française victime d’un infarctus massif à New York et soignée finalement à la Pitié. Elle a survécu, et son compte en banque aussi.

Le 11 novembre, le NEJM revient sur les fondamentaux : une bonne médecine commence par un bon diagnostic. Cela va sans dire, mais va mieux en le disant.

Un décret du 13 novembre supprime un grand nombre de commissions administratives à caractère consultatif, dont huitrelevant du ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes (le conseil de l’hospitalisation ; le comité national de santé publique ; la commission de suivi des programmes de prévention des infections associées aux soins en établissements de santé et en secteur des soins de ville ; le comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l’accompagnement de la fin de vie ; le groupe d’appui technique sur les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique ; le comité de pilotage et le comité de suivi du programme national relatif à la nutrition et à la santé et du plan Obésité ; le comité de la médaille d’honneur de la santé et des affaires sociales ; le comité scientifique du site Intervention précoce, soutien à la parentalité).

Les sociétés Pfizer et Allergan ont annoncé leur fusion. Est-ce pour améliorer la recherche, servir le progrès médical, mieux aider les malades ? Non, c’est pour optimiser leur taxation fiscale, comme le révèle le NYT.

Malgré l’Obamacare, l’opinion des Américains sur leur système de santé n’évolue guère et reste très critique, selon un sondage commenté par The American Interest.

Le NYT rapporte que la responsable de la recherche de la firme Coca Cola a démissionné. Rhona S. Applebaum avait organisé et soutenu des recherches universitaires biaisées pour minimiser les conséquences néfastes des boissons sucrées sur la santé.

Pour ses hôpitaux et certains soins extra-hospitaliers, l’état du Maryland a abandonné le paiement à l’acte en faveur d’un budget global. Le NEJM publie un article sur les premiers résultats de ce changement. En voici quelques extraits : “The state established a new hospital global budget payment program in which all payers in aggregate pay hospitals a fixed annual amount for inpatient and outpatient services, adjusted for quality and irrespective of hospital utilization. The premise behind hospital global budgets is simple: providing fixed, predictable revenue allows hospitals to focus on value rather than volume and rewards them for investing in population health improvement. (…) The terms of Maryland’sagreement with CMS require the state to transition to a model that will reduce costs and improve quality over the full spectrum of care — not just hospital services — by 2019. In 2014, the state’s total per capita costs of care decreased by 0.64%, almost entirely as a result of reductions in hospital expenditures. CMS has launched a number of programs that can guide efforts to promote delivery-system transformation, such as bundled-payment initiatives and patient-centered medical homes. Because of the unique nature of the all-payer rate-setting system, however, CMS has empowered Maryland to develop its own payment models. This opportunity to test all-payer reform over the full spectrum of care will not only benefit Maryland but also provide important insights for other states seeking to further accelerate delivery-system reform.”

Le docteur Olivier Véran, praticien hospitalier au CHU de Grenoble et ancien député socialiste (il était le suppléant de madame Geneviève Fioraso lorsque celle-ci était ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche), lira cette étude avec attention et devra s’informer de toutes les initiatives internationales pour trouver des modes de financement hospitalier plus pertinents que la tarification à l’activité. La ministre de la santé lui a confié une mission pour réformer “en profondeur” le financement des hôpitaux. Il devra faire “des propositions concrètes pour réformer le financement de la recherche et de l’innovation, ainsi que l’investissement dans les établissements de santé”, et explorer “la piste d’une dotation modulée à l’activité (…) avec une attention pariculière”. Cette initiative est justifiée par l’échec du Coretah, comité piloté par la direction générale de l’offre de soins et qui n’a pas fait évoluer la tarification à l’activité de façon sensible. Les technocrates et les bureaucrates de la santé qui l’ont imposée et généralisée restent quasiment les seuls soutiens de cette tarification, tant ce système paraît désormais condamné à cause de ses nombreux effets pervers. Nous verrons si la technostructure et ses succursales loco-régionales feront échouer cette nouvelle mission.

Selon le Monde, “près de 2,5 millions de Français vivent dans un désert médical”. Cette affirmation s’appuie sur les Atlas régionaux de la démographie médicale établis par le conseil de l’ordre des médecins.

Que signifie l’uberisation de la santé ? Dominique Dupagne tente d’y répondre sur son blog.

En désaccord avec le nouveau contrat très défavorable que les pouvoirs publics veulent leur imposer, les jeunes médecins anglais se sont prononcés massivement en faveur de trois jours de grève en décembre prochain. Ce vote (27741 pour, 564 contre) a incité le gouvernement à ouvrir enfin des négociations. Un éditorial du Lancet paru le 28 novembre regrette cette forme d’action tout en défendant les revendications des jeunes médecins, les replaçant dans le contexte de difficultés financières du NHS et des récents attentats de Paris : “Junior doctors deserve a contract that is just, fair, and competitive. Medicine was once regarded as a good career choice in the UK, attracting school leavers with the highest grades, and promising a fulfilling, challenging, and financially rewarding working life in the service of others. Now the NHS is haemorrhaging young medical talent to other countries including the USA, Australia, and New Zealand, where salaries are higher, career prospects better, or a healthier work–life balance is achievable. Those who stay face huge disparities with their university peers, especially those choosing careers in the financial services or legal profession. The proposed new contract risks disadvantaging some medical specialties, penalising those who take time out to have or care for children, and discouraging those who wish to go into medical research. (…) The collective deficit of hospitals in England is now £1·6 billion, in part due to increased spending on agency and contract staff, a rising demand for services, and beds blocked because of a lack of capacity for social care. Most indicators, including increasing waiting list times, suggest an NHS that is teetering on the brink of collapse. A welcome above-inflation investment in the NHS was announced by the government on Nov 24, but will need to be spent wisely. (…) The tragic events in Paris last week illustrate the value of professionalism, solidarity, self-sacrifice, efficiency, and care by health workers. In an essay by front-line doctors treating those injured in the attacks, trust, professionalism, and a desire to help others shine through, mirroring descriptions of the medical response to 9/11, and the Madrid, London, and Boston bombings. The Paris attacks show once again how essential and valuable doctors are to society. Professional codes are not negotiable by resorting to strike action. Junior doctors deserve more from their representative bodies, the government, and their employers. Respect, status, and fair pay are just and necessary rewards in return for putting patients first in all circumstances.”Sur la situation du NHS, voir aussi iciiciici et .

Une dépêche de l’Agence de presse médicale du 26 novembre nous fait part de la réaction des deux premières organisations syndicales de directeurs d’hôpital aux annonces portant sur les futurs groupements hospitaliers de territoire :“Le Syncass-CFDT et le Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS) font part, dans des communiqués, de leurs inquiétudes sur les futurs groupements hospitaliers de territoire (GHT), craignant notamment la constitution de trop grosses structures. “Depuis le colloque du 9 septembre et nos réflexions des Journées nationales de Lyon, les 5 et 6 novembre, les contours probables des GHT se révèlent peu à peu et ne sont guère rassurants”, indique le Syncass-CFDT dans le dernier numéro de son Journal des négociations statutaires. Le syndicat remarque que les agences régionales de santé (ARS) et les fédérations hospitalières “annoncent souvent un seul GHT par territoire de santé” (soit environ 150 GHT, NDLR). Cela “risque de créer des ensembles surdimensionnés, en nombre d’établissements et en étendue, préfigurant des ‘assistances publiques départementales'”, alerte-t-il.” Dans les Pays de Loire, la FHF a organisé un vote indicatif qui a approuvé la création de 5 groupements hospitaliers de territoire, un par département. Le cauchemar d’assistances publiques sur tout l’hexagone est sur le point de se réaliser, avec la lourdeur de fonctionnement et l’inefficience administrative que cela entraînera inévitablement. Voilà le résultat de la loi de modernisation denotre système de santé, qu’il vaudrait appeler loi de bureaucratisation de notre système de santé.

Dans une tribune publiée par Libération, l’écrivain et philosophe Eric Sadin critique le discours tenu “par le monde numérico-industriel et les laboratoires pharmaceutiques” sur “la médecine des données” et “le corps connecté”, en insistant sur les conséquences économiques de cette prolifération. Sur le site Bionicly sont recensées les nombreuses initiatives prises dans ce domaine. Cette vision d’un futur médical entièrement automatisé est tempérée par The Guardian, qui consacre un long article aux changements à attendre dans le monde du travail (extrait : “Data analysis work in areas such as advertising and finance is being outsourced to computers and even the authority of medical experts is being challenged: IBM’s Watson computer, which won the American TV quiz Jeopardy in 2011, is being used to diagnose cancer patients in the US. Watson can sift through symptoms, medical histories and the latest research to deliver diagnoses and suggest potential treatments, but there are limits to its diagnostic abilities and, unlike a human doctor, it cannot treat patients with empathy and understanding.”). The Economist affirme que la révolution des big data n’en est qu’à ses premiers balbutiements. Il s’interroge sur le respect de la vie privée et sur les résultats à attendre de ces montagnes de données de plus en plus accessibles, mais souvent inutiles et difficiles à exploiter.

L’Institute for Health Metrics and Evaluation, soutenu fiancièrement par la Fondation Bill et Melinda Gates et par l’état deWashington, est une source importante de données sur la santé dans le monde, présentées de façon interactive. Elles concernent la santé publique, le financement de la santé, la morbidité et la mortalité. Un article récent sur le fardeau global de la maladie et ses difficultés d’évaluation est signalé sur la page d’accueil.

Une campagne de la sécurité sociale fait jaser. “Qui connaît un médecin qui reçoit après 19 heures ?” demande-t-elle, à quoi il lui est répondu : “Qui connaît une CPAM qui reçoit après 16 h 30 ? ” (voir ici).

Pourquoi la plupart des résultats des travaux de recherche publiés sont-ils faux ? se demande John P.A. Ioannidis, dans un article d’août 2005 et que vient de me transmettre un ami. L’auteur essaie d’apporter des réponses, qu’on espère vraies, à cette désespérante question qui reste d’actualité.

Le site xkcd présente la science sous un jour décalé. Le microbiote a inspiré à son auteur un dessin intitulé Team Effort.

Amitiés et bon courage.

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