Chers collègues,
Vous trouverez ici l’article du Parisien de ce jour sur la carte de France de la maltraitance et du harcèlement dans les hôpitaux publics français, partie émergée de l’iceberg. Au passage, précisons que, contrairement à ce que prétendent la directrice et le président de la CME de l’hôpital d’Amiens, plusieurs autres cas signalés dans ce CHU ont fait ou font l’objet de procédures, dont certaines ont été gagnées par les victimes, ce que ces deux hauts responsables ne peuvent pas ignorer.
Les questions de santé font enfin irruption dans la campagne électorale. Notre collègue André Grimaldi passe au banc d’essai le programme des deux finalistes de la primaire de la droite et du centre : il n’y a pas photo (voir ici).
Un Américain à Paris complimente dans le Los Angeles Times l’hôpital public français après un passage à l’hôpital Lariboisière. Il affirme que notre système de santé est un système à un seul payeur. Ah si seulement c’était vrai ! Son témoignage est à la gloire de l’hôpital public français. Préservons-le et allons véritablement vers un système à un seul payeur, le plus rationnel (à ce sujet voir la charte pour une santé solidaire proposant que la sécurité sociale puisse être aussi assurance complémentaire : c’est la voie vers le payeur unique).
La T2A est à bout de souffle, maintenue encore sous perfusion idéologique par les technocrates de la santé qui sont à l’origine de sa mise en œuvre. Ils ont soumis l’éthique médicale à des impératifs comptables désincarnés, les soignants aux bureaucrates obsédés par les dépenses et les recettes. Un article paru dans Gestions hospitalières et un autre article de Pierre-André Juven dans la Revue de la régulation (auteur à ne pas confondre avec notre collègue Philippe Juvin, ex-conseiller santé de l’ex-président de la République ex-candidat malheureux aux primaires Nicolas Sarkozy) montrent les limites de ce mode de financement à la fois sur un plan politique et économique. La T2A a eu pour principale conséquence de pousser les hôpitaux à faire de l’activité pour l’activité et à se laisser aller au surcodage (terme médian de ce que les uns appellent optimisation du codage, les autres fraude à la sécurité sociale).
Quelques extraits du premier article :
« Tout d’abord, la classification elle-même évolue rapidement ; nous sommes à la onzième version des GHM, sachant que ce décompte ne tient pas compte de variantes qui ne sont en rien anodines (en fait, à l’heure actuelle, la version utilisée est la V11g, donc septième variante de la V11). Le passage à cette « fameuse » V11 a provoqué une perturbation considérable en 2009, puisque le système est passé brutalement, en introduisant des niveaux de lourdeur des cas dans la plupart des GHM, de 800 GHM environ à plus de 2 400 (il y en avait 483 en 1982, début du PMSI).
(…) Finalement, on se retrouve très loin des conditions d’application des théorèmes micro-économiques de la concurrence fictive. Les tarifs notamment peuvent s’éloigner sensiblement des coûts fournis par l’ENC. On a affaire plutôt à un dispositif hybride entre incitatif économique et planification, cette ambiguïté étant introduite dans l’outil lui-même, également à un mélange entre science et technique, à un « bricolage » intensif, qui mixte des travaux scientifiques de haute tenue (voir l’algorithme de redressement statistique dans l’ENC) et toute une série de conventions, de choix, répondant davantage à la logique du « faute de mieux » ou de la règle du pouce que de la démonstration.
(…) D’où la tentation, à laquelle ont succombé les établissements : plutôt que de se lancer dans des opérations pénibles de réduction des coûts, il vaut mieux développer l’activité, au gré des opportunités, sans se guider par un signal peu clair et mouvant, d’autant que si on ne le fait pas, d’autres le feront, et par le fait de la régulation prix/volume en place, non seulement la vertu de l’efficience ne sera pas récompensée, mais elle sera pénalisée. »
L’efficience globale du système de santé et la T2A sont en effet antinomiques. Qui mesure la consolation que reçoivent les malades dans nos hôpitaux, qui évalue le soulagement de leurs maux et qui calcule les taux de guérison ? Qui comptabilise les hospitalisations évitables, qui lutte contre les erreurs diagnostiques ou les prescriptions abusives d’examens complémentaires et de traitements ? Nos administrateurs et certains de nos collègues rivent leurs yeux sur les tableaux d’activités, qui ne disent rien de la qualité des soins dispensés, mais seulement de leur quantité. Plus on vend de séjours, plus on est content.
Comme le dit notre collègue Guy Benoît, président de la commission activité recherche de la CME de l’AP-HP , le modèle économique de l’hôpital est aujourd’hui celui du producteur de porc breton : plus on produit, plus les revenus baissent.
De quoi sera fait demain ?
Amitiés et bon, très bon courage.