Chers collègues,
L’Assistance publique – hôpitaux de Paris a décidé de créer une chaire d’économie de la santé en association avec l’Ecole d’économie de Paris, Hospinnomics, contraction des trois termes Hospital, Innovation et Economics. Il s’agit “de doter la France d’une structure répondant à ces ambitions: orienter la recherche académique en économie de la santé vers plus de pragmatisme (« Policy-oriented research ») et permettre aux acteurs de la santé d’appuyer leurs décisions sur des évaluations scientifiques (« Evidence-based policy »)”. Cette initiative excellente dans son principe s’est concrétisée grâce à un investissement de 400 000 euros provenant du CHU francilien, mais avec la perspective d’un retour sur investissement grâce aux travaux qui seront commandés à Hospinnomics (l’AP-HP toucherait 20 % des factures émises par Hospinnomics : il va falloir beaucoup travailler !).
La nouvelle chaire doit s’installer à l’Hôtel-Dieu. Son lancement a eu lieu les 29 et 30 septembre derniers à l’Hôtel Scipion (qui devrait être bientôt vendu pour financer le nouvel nouvel nouvel Hôtel-Dieu), sous la forme d’un colloque international. Les premiers vagissements de ce nouveau-né, pour attendrissants qu’ils soient, suscitent tout de même quelques inquiétudes. Ainsi, le conseil scientifique d’Hospinnomics est composé exclusivement d’économistes, à l’exception notable de son président, notre collègue Pierre Corvol, choisi avant tout pour son prestige : en introduisant le colloque de lancement, il a confessé qu’il n’avait aucune compétence en matière d’économie. C’est une bien curieuse façon de vouloir rapprocher le monde des économistes de celui des hospitaliers en commençant par exclure ces derniers. Les médecins et responsables hospitaliers seraient-ils trop sots pour s’occuper d’économie ? Ou trop occupés à “produire” ou “manager” les soins pour se mêler de recherche “pragmatique” ? Il faut espérer que ce grave vice de fabrication sera vite réparé.
Parmi les communications les plus intéressantes de ce colloque, nous retiendrons celle du Pr Andrew Street, université de York, Royaume-Uni. Il a montré qu’en Angleterre, le surcroît de moyens obtenus par les hôpitaux spécialisés par comparaison avec les hôpitaux moins spécialisés était davantage lié au pouvoir d’influence des premiers qu’à une différence objective de coûts, même si celle-ci est réelle. De son côté,madame Marisa Miraldo, “Hospinnomics visiting Professor”, a parlé du paiement à la performance (Payment for performance, P4P). Pour l’instant, la démonstration de son effet sur l’amélioration des pratiques professionnelles n’est guère concluante. Plutôt que de remettre en cause le P4P devant des études négatives ou peu probantes, certains économistes de la santé, comme semble-t-il madame M. Miraldo, préfèrent penser que si les caramels mous ou les sucettes en forme de cœur n’ont pas d’effet sur les acteurs de soins, il faut essayer la barbe à Papa. De plus, comme l’a fait remarquer le professeur Robert Launois, présent dans l’assistance et lui-même économiste de la santé, il reste à prouver que les indicateurs retenus pour le P4P ont un impact réel sur l’état de santé des malades. C’est quand on est train de démontrer l’échec de cette méthode de rémunération qu’elle connaît une grande vogue dans notre pays, que ce soit auprès de l’assurance maladie ou du de la direction générale de l’offre de soins du ministère de la santé.
Plus généralement, il est apparu aux médecins de l’AP-HP présents à ces journées que madame Lise Rochaix, la sympathique titulaire de la chaire Hospinnomics, aurait avantage à solliciter ceux qui non seulement ont une pratique réelle des soins et une connaissance approfondie du fonctionnement hospitalier, mais qui ont de plus mené une réflexion économique, même si c’est avec leurs petits moyens intellectuels de médecins. Plutôt que de rester dans l’entre-soi douillet de l’académisme bien-pensant, elle en tirerait quelques enseignements utiles, pour ne pas dire capitaux, et enrichirait à son tour notre réflexion, de façon sûrement captivante.
David Chinitz et Victor G. Rodwin seraient peut-être d’accord avec ces remarques. Voici le résumé de leur article récent “What passes and fails as health policy and management” : “The field of health policy and management (HPAM) faces a gap between theory, policy, and practice. Despite decades of efforts at reforming health policy and health care systems, prominent analysts state that the health system is “stuck” and that models for change remain “aspirational.” We discuss four reasons for the failure of current ideas and models for redesigning health care: (1) the dominance of microeconomic thinking; (2) the lack of comparative studies of health care organizations and the limits of health management theory in recognizing the importance of local contexts; (3) the separation of HPAM from the rank and file of health care, particularly physicians; and (4) the failure to expose medical students to issues of HPAM. We conclude with suggestions for rethinking how the field of HPAM might generate more-promising policies for health care providers and managers by abandoning the illusion of context-free theories and, instead, seeking to facilitate the processes by which organizations can learn to improve their own performance.”
Les économistes de la santé se posent en effet souvent des questions sans grande portée, déconnectées des pratiques réelles et des enjeux prioritaires, sans prendre en compte le contexte ni impliquer les acteurs de soins.
Mais la cécité partielle et les errements de beaucoup d’économistes de la santé ne représentent pas le risque le plus redoutable pour nos établissements. La menace pesant sur les hôpitaux est surtout celle des économies dans la santé et de l’austérité. Le plan d’économie prévu pour 2015 va toucher l’assurance maladie à la hauteur de 3,2 milliards d’euros, l’hôpital devant supporter une bonne partie de la facture (voir projet de loi de finance 2015, p. 12-13). Comment dès lors continuer à assurer nos missions et répondre aux besoins de la population ? Le pouvoir ne le dit pas puisqu’il entretient le mythe selon lequel ces restrictions seront sans conséquences sur l’accès aux soins et leur qualité. L’exemple de l’Espagne ou celui du Royaume-Uni sont là pour montrer le contraire. Il apparaît surtout que les politiques d’austérité aggravent le mal qu’elles sont censées combattre et sont le prélude à des temps encore plus difficiles (voir par exemple ici, ici ou là).
Amitiés et bon courage.
Merci de ces informations. Accord total avec le constat. Il est frappant de constater que les gouvernants ont tendance à systématiquement mettre en oeuvre des initiatives en matière de santé au moment où on observe l’échec ou les limites de celles ci. P4P est un exemple parmi d’autres. On pourrait discuter des limites des DRGs/T2A etc…