Chers collègues,
Les hospitalo-universitaires jouissent comme tous les autres universitaires de la liberté académique (ou libertés universitaires), une notion mal connue qu’il est utile de préciser. Ils en jouissent dans toutes leurs activités, car il est souvent impossible de dissocier ce qui relève de leurs fonctions universitaires et de leurs activités hospitalières : ils ne sont pas à mi-temps hospitaliers et à mi-temps universitaires, mais à temps plein l’un et l’autre.
Les libertés universitaires sont évoquée en ces termes par la Cour européenne des droits de l’Homme qui souligne « l’importance de la liberté universitaire, qui comprend la liberté des universitaires d’exprimer librement leurs opinions au sujet de l’institution ou du système dans lequel ils travaillent et la liberté de diffuser sans restriction le savoir et la vérité (Cour EDH, 2e Sect. 23 juin 2009, Req. n° 17089/03, § 35) ».
Dans sa recommandation 1762 (2006), l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a déclaré : « La Magna Charta Universitatum souligne le rôle crucial qu’ont joué les universités dans la construction d’une tradition de l’humanisme européen et dans le développement des civilisations. Elle réaffirme également la liberté académique et l’autonomie institutionnelle en tant que principes et droits fondamentaux pour les universités, et l’intérêt de chaque société et de l’humanité dans son ensemble à perpétuer ces valeurs. (art. 2) », « la liberté académique, dans la recherche comme dans l’enseignement, devrait garantir la liberté d’expression et d’action, la liberté de communiquer des informations de même que celle de rechercher et de diffuser sans restriction le savoir et la vérité (Art 4.1) », « l’Histoire a montré que les atteintes à la liberté académique et à l’autonomie des universités ont toujours entraîné un recul sur le plan intellectuel, et donc une stagnation économique et sociale (Art 4.3) ».
En France, les libertés universitaires sont reconnues explicitement et donc protégées par la loi d’orientation sur l’enseignement supérieur du 12 novembre 1968, la célèbre loi Faure. Aux termes de l’article 34 « les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions de la présente loi, les principes d’objectivité et de tolérance » . Le Conseil constitutionnel a quant à lui considéré dans une décision du 20 janvier 1984 que « par leur nature même, les fonctions d’enseignement et de recherche non seulement permettent mais demandent, dans l’intérêt même du service, que la liberté d’expression et l’indépendance des personnels soient garanties par les dispositions qui leur sont applicables (CC, 20 janvier 1984, Loi relative à l’enseignement supérieur) ».
Dans son livre Les Libertés universitaires à l’abandon ? Olivier Beaud, professeur de droit public, écrit : « Le cas de la liberté d’expression est peut-être le plus intéressant à méditer pour la compréhension de ce qu’est la liberté académique. Deux leçons fondamentales s’en dégagent. La première, c’est qu’il s’agit d’une liberté qui n’est pas d’une nature différente de celle reconnue à tous les citoyens et aussi à tous les fonctionnaires. Pourtant, lorsqu’elle bénéficie à un enseignant universitaire, elle se révèle d’une plus grande étendue. C’est en raison de son amplitude qu’elle est dérogatoire au droit commun. Elle confirme d’une certaine manière l’un des leitmotive du présent ouvrage : la liberté des universitaires est « une liberté spéciale » et il existe donc un lien intrinsèque entre la spécificité de la liberté académique et la nature très dérogatoire du statut d’universitaire par rapport au droit commun de la fonction publique. La seconde leçon n’est pas moins importante. La liberté d’expression illustre l’idée que, fonctionnaire, l’universitaire ne représente pas l’Etat quand il publie ou exprime une opinion. Comme on a pu l’écrire, jamais les membres de l’enseignement supérieur « ne parlent, n’écrivent et n’agissent au nom du Gouvernement ou de quelque autorité que ce soit ». L’individu ici se distingue de l’Etat, et c’est cette dissociation qui fait la particularité du statut de fonctionnaire universitaire, un statut mixte en réalité. C’est précisément cette dimension « libérale » incluse dans le métier même d’enseignant du supérieur, que s’évertue à nier l’administration française, surtout la haute administration, aveuglée par ses préjugés sur l’université et les universitaires. »
O. Beaud conclut son ouvrage par une citation de Jacques Mistral, professeur d’économie : « la reconnaissance des franchises universitaires est l’un des socles les plus anciens et les plus solides de la civilisation occidentale. Le savoir placé au-dessus de tout, l’indépendance à l’égard de tout pouvoir sont des valeurs sacrées, et il n’y a pas de réforme qui ne doive les considérer comme telles : fondamentalement, est universitaire celui qui refuse d’être mis au pas. »
Plus qu’un privilège, la liberté académique est un idéal et une exigence.
Amitiés et bon courage.
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