Economie(s)

Chers collègues,

Voici quelques documents et articles de presse sur l’actualité :

– une lettre adressée le 13 octobre dernier au président de la République par un nombre impressionnant de directeurs d’unités de recherche sur les difficultés que rencontrent actuellement les chercheurs et sur les mesures à mettre en œuvre pour redresser la barre ;

Et la clinique… bordel ! , signé de notre collègue interniste Jean-Louis Dupond, un livre décapant si l’on en juge par le compte rendu du QdM ;

– les effets désastreux du double numerus clausus en Belgique ;

– les effets désastreux du numerus clausus en France et du défaut d’attractivité des carrières dans les hôpitaux : de moins en moins d’anesthésistes dans les hôpitaux, et les hospitaliers tentés par le départ de l’AP-HP ;

plan d’économie au ministère de la Défense : l’hôpital du Val-de-Grâce n’accueillera plus de malades ;

– le “trou de la sécu” pour les nuls ;

– une évaluation des articles scientifique en plein développement, la post-publication peer review ;

– les références qui suivent confirment l’effet douteux du paiement à la performance sur la performance : 1, 2 & 3 ; j’en conseille la lecture attentive à madame Lise Rochaix, titulaire de la chaire Hospinnomics (dont sont exlus les médecins, bien que ce soit l’AP-HP qui finance cette chaire chère), et à madame Marisa Miraldo, visiting professor défenseur du P4P ;

comment cartonner au SIGAPS (rassurez-vous, l’argent n’est pas pour vous) ;

– ci-dessous un mél de Jean-Pierre Escaffre en réaction aux dernières nouvelles du front sur les économistes de la santé.

Amitiés et bon courage.


Le mél de J.-P. Escaffre, enseignant à l’université de Rennes, Centre de recherche rennais en économie et gestion :

lundi 13 octobre 2014

 

Bonjour,

                On le sait depuis longtemps (début des années 80 du siècle dernier) que les dépenses hospitalières ne sont pas directement liées à l’activité, et que les calculs des coûts complets sont toutes sujettes à caution. A ce titre, il est très curieux de constater le renversement logique en la matière dans le cadre du PMSI / T2A : alors que les coûts sont liés à l’utilisation des facteurs de production, la T2A est calculée par rapport au type de patients. Le coût d’une voiture est-il lié au type de client, ou aux moyens mis en œuvre pour la produire ? La T2A est en réalité un prix, et en tant que tel, non lié aux facteurs de production utilisés. En réalité, la T2A a été imposée pour personnaliser les prix, utile pour la tarification des assureurs, la plupart liés au capital anglo-saxon.

                Le véritable enjeu scientifique, est de découvrir les « lois » des processus des prises en charge hospitalières, fondées sur un fait incontournable : les relations soigné / soignants (médecins, IDE, AS, …), généralement dénommés « soins », cœur du fonctionnement du système, relations aimantées par la mission fondamentale : rendre autant que possible l’autonomie par une dépendance (= soin ici) provisoire. C’est en comprenant ces lois que l’on peut ensuite, et seulement ensuite, se poser la question des dépenses (je ne parle pas des « coûts »).

                Nombre de ces lois sont déjà connues depuis de nombreuses années, mais peu exploitées politiquement :

1-premier questionnement tout simple : pourquoi les gens s’adressent-ils à l’hôpital ? Comment se fait-il qu’à niveau de santé identique, on dénombre beaucoup plus de personnes à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’hôpital, selon les épidémiologistes ? La réponse : parce que la variation des entrées à l’hôpital est d’abord liée à la capacité de soutien des réseaux sociaux de l’aire d’attraction (et ceci est vrai même dans les services CS, y compris en chirurgie !). Plus le réseau social local se détériore, plus le nombre d’entrées s’accélère, toutes spécialités confondues, et plus il faut multiplier les structures sous pression populaire. Il est donc inutile d’accuser a priori la médecine de ville. Politiquement, si l’on veut contenir les dépenses hospitalières, il conviendrait en tout premier lieu de maintenir la solidarité dans les réseaux sociaux. Or le démantèlement de nos systèmes industriels entraînant ceux de nos services déchirent ces réseaux sociaux locaux, avec double effet : nos anciens se retrouvent seuls, et les adultes ou couples d’adultes, contraints de se rendre « mobiles », se retrouvent aussi isolés lors d’épisodes morbides de l’un d’entre eux. Seule solution pratique : être hospitalisé ! Il conviendrait donc de stabiliser l’activité économique, donc de pratiquer un aménagement économique des territoires, ce qui est dans les faits quasi interdits par la constitution européenne. Nos économistes veulent-ils prendre en compte cette loi sociale ? Cela les mettrait en contradiction formelle avec leur théorie.

2-deuxième questionnement : comment les patients viennent à l’hôpital ? Par qui ? D’où ? Dans quel état (c à d à quel niveau de dépendance)? Le nombre de combinaisons des modalités des variables décrivant ces problématiques est très grand. Chaque combinaison définit une filière (que certains dénomment « trajectoire », mais dans un sens autoritaire : voilà LA filière optimale). Les tenants de ces trajectoires sont souvent décontenancés : compte tenu du très grand nombre de combinaisons, le nombre de personnes dans chacune d’elle est minime, et on ne peut en tirer grand-chose. Cependant, en se plaçant du côté des responsables des unités de soins, on peut les regrouper empiriquement pour en faire un outil de gestion prospectif des flux de patients, très efficace.

3-troisième questionnement : une fois arrivés dans les services, comment gérer ces flux, en particulier les flux de nature aléatoire ? Quel est le nombre de lits à réserver chaque jour tout en n’acceptant pas un taux d’occupation trop faible de ces lits réservés, et de là simuler la capacité en lits nécessaire, en fonction du nombre acceptable de patients à prendre en charge ? Il existe des modèles aujourd’hui fiables qui existent depuis le milieu des années 80.

4-quatrième questionnement : au sein des unités de soins, que se passe-t-il ? Là aussi, il existe des « lois » sur lesquelles on peut s’appuyer. Tout d’abord, il convient de revenir au cœur du fonctionnement : la relation soigné / soignants, c’est à dire les niveaux de dépendances. On s’aperçoit à ce titre que les niveaux de dépendance ne sont en rien liés aux pathologies ou diagnostics (ce qui élimine le PMSI comme moyen de calcul spécifique d’activités). Quel que soit le type d’activité de soins, trois types de dépendance non corrélés sont à prendre en compte pour l’organisation globale des unités de soins : actes techniques aides à la vie courante, actes techniques somatiques, actes techniques relationnels. Chaque type d’actes suit la même loi statistique : la probabilité d’un acte d’un certain niveau de dépendance fait apparaître les autres actes de même niveau : pour chaque type de dépendance, la situation s’améliore ou se détériore globalement. Ceci a des répercussions sur le fonctionnement du service, en particulier sur les charges de travail des personnels. A court terme, ce n’est pas tant le volume de la charge de travail qui est décisif, mais la variation de celui-ci qui induit les ressentis des personnels, aspect a priori subjectif qui repose en réalité sur des faits objectifs : la preuve est que les niveaux de ressentis sont partout les mêmes, quel que soit l’hôpital ou l’unité de soins. Or ces ressentis sont à fréquemment à l’origine de dépenses insoupçonnées, sans doute élevées.

C’est la maîtrise collective de ces lois (et bien d’autres non encore découvertes) qui pourrait en retour permettre de maîtriser certaines dépenses hospitalières par l’intermédiaire de stratégies bien pensées (stratégies qui sont aussi mues par des « lois » !).

D’autres aspects d’importance, curieusement peu étudiés par les économistes, dans l’accroissement des dépenses hospitalières : l’abandon volontaire de nos industries des matériels médicaux (et autres), au profit des industriels américains, japonais et allemands. Ces derniers fixent les prix qu’ils veulent, avec des fonctionnalités des appareils dépassant fréquemment l’utilité médicale comme prétexte. Pour limiter l’envolée des dépenses à ce titre, le ministère crée des quotas d’acquisition. Conséquences : les déplacements des patients deviennent coûteux (pour les malades et la Sécu), et surtout la « productivité » des soins en pâtit grandement. 

Les théories économiques généralement avancées sont très éloignées de ces préoccupations très terre à terre. Nos économistes préfèrent se référer à des théories anglo-saxonnes en réalité peu « suitable » à d’autres environnements culturels. Cela prouve qu’ils se sont mis volontairement en position de dominé, cette servitude volontaire qui les aveugle et les rendent trop souvent sectaires. Ils en sont à dénommer leur nouvelle chaire d’économie de la santé dans une langue étrangère, comme s’il fallait cacher la leur, comme si les problèmes à traiter en France ne sont pas intrinsèques à l’organisation spécifique de ce pays depuis la dernière guerre, et qui a fait ses preuves … A moins qu’ils entendent devenir des relais idéologiques pour faire accepter les modèles anglo-saxons dans notre société ? “There is no other alternatives” ! Comme aux USA lors de la mise en place des DRG, l’ennemi politique est le corps médical, du moins la partie qui s’obstine à appliquer le principe d’Hippocrate, qui n’entend pas se faire dicter leur activité, fonction du besoin du patient, par des critères liés aux primes d’assurance.

Si le médecin joue un rôle stratégique dans le recrutement des patients, pourquoi négliger par insouciance le rôle des autres soignants ? Ne savent-ils pas que si les cadres soignants se mettent en grève, le fonctionnement de l’hôpital s’écroule dans les 12 heures ?

Bien cordialement,

                                                               J-P ESCAFFRE

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